mardi 14 août 2012
Ramadan, l'ivrogne,le chat et moi : La police made in Maroc
Ali Lmrabet est un journaliste marocain ....interdit d'écriture. La précision est importante pour comprendre pourquoi la police n'est jamais intervenu pour l'aider. Un ivrogne en plein ramadan, un chat fantôme et une police au hbal le plus long du monde. Histoire vraie
"Dans ce beau pays qui est le nôtre, si vous n’êtes pas une personne
bien en vue et si on ne vous aime pas trop en haut lieu, il vaudrait
mieux ne pas avoir affaire à la police marocaine. Si vous êtes
cambriolé, agressé, ou si quelqu’un essaye de pénétrer de force dans
votre maison il faudrait se barricader, garder son sang froid et ne pas
demander aux forces de l’ordre d’intervenir. Cela ne sert à rien.
Au pays du ministère de la Justice et des libertés, il y a beaucoup
d’injustices et pas de libertés du tout. Même pas celle de demander à la
police de venir protéger votre intégrité physique et vos biens.
Mais attention, comme nous vivons sous un régime qui a réponse à
tout, avant de dénoncer les faits, il faut être précis, aller aux faits
et s’appuyer sur des preuves. Sinon, on vous traitera de parano ou de
provocateur
Samedi 1h00 : Ancienne médina de Tétouan. Un homme du nom de Hassan,
visiblement dans un état second frappe violemment à la porte de ma
maison. Il est ivre, il tient une bouteille de vin à la main droite et
un sebsi de kif à la main gauche. Que cherche-t-il ? Est-ce un baltagi ?
Un shabiha marocain ? J’ouvre la porte. Ch’heb el khatar ? (Traduction non-officielle : Je peux vous être utile ?)
L’ivrogne : Il y a un chat qui m’emmerde et qui vit chez vous.
Mais, je n’ai pas de chat.
Pourtant, il est bien chez vous.
Je vous dis que je n’ai pas de chat, ni de chien. Aucun animal.
Ah bon… J’ai été mal renseigné alors. Au revoir.
Au revoir.
Quelques minutes plus tard, les mêmes coups qui défoncent ma porte résonnent. J’ouvre la porte.
Qu’est-ce qui se passe encore ?
On m’a dit que le chat est bien chez vous.
Je vous répète que je n’ai pas de chat. Vous l’avez vu où ? Qui vous a dit ça ?
Euh… je ne sais pas.
Je ferme la porte. Les coups sur la porte retentissent avec plus de
vigueur. Des insultes fusent. Des menaces de mort aussi. J’appelle un
copain avocat qui m’explique clairement la situation. « Ecoute. Tu
devrais déposer plainte, mais ce sera ta parole contre la sienne. Va
immédiatement au commissariat de police le plus proche et demande-leur
de venir constater l’infraction ou l’agression, ainsi que l’état
d’ébriété de cette personne ».
Je sors par une autre porte et je me rends au nouveau commissariat de
la place Ouessaâ, en plein centre de la médina. Ouvert en grandes
pompes il y a seulement quelques semaines ce poste de police est censé
lutter contre le crime et l’insécurité dans notre bonne vieille ville de
Tétouan
Je trouve deux jeunes policiers attablés. Ils sont en train de
manger. Je leur explique la situation. « Nous ne pourrons rien faire. Il
faut appeler la permanence de police qui enverra tout de suite une
équipe », répond l’un d’eux. La permanence de police se trouve à l’autre
bout de la ville, alors que le commissariat de Ousseaâ se trouve à 200
mètres de ma maison…
J’appelle la permanence au 0539702961.
Allô, la police ? Voilà, il y a un monsieur complètement ivre qui casse ma porte.
Ivre ? C’est pas possible. On est en plein mois de Ramadan. Vous êtes sûr ?
Venez constater vous-même ! C’est au …
Non, non, non… Pour qu’on puisse vous accompagner, il faudrait que vous vous présentiez à la permanence de police.
Et ça ne marche pas au téléphone ?
Non, non, non…
Je prends un taxi et je me rends à la permanence de police située à la sortie de la ville.
Il est 2h00 du matin et j’explique la situation au policier de garde.
Il prend mon nom, celui de mon père, ma mère, mon adresse, le numéro de
ma CIN, etc…
Profession ?
Journaliste.
Dans quel journal ?
Dans aucun. Interdit d’écriture.
Comment ? C’est une blague ?
Ben non… Dans ce beau pays c’est tout à fait normal.
Le policier me regarde bizarrement. Il utilise un talkie-walkie pour
parler avec ses collègues, puis il sort dans la rue. Il me demande
l’adresse exacte. Je la lui donne encore une fois, avec des détails, des
précisions.
Retournez chez vous et attendez la police. Elle arrive tout de suite, me dit-il.
Il est 2h30. Je rentre chez moi. L’ivrogne est toujours là. Il
continue à casser la porte. Des voisins contemplent la scène depuis
leurs fenêtres, mais n’osent sortir. Je préviens Hassan que la police
arrive. « Elle ne viendra pas », répond-il, sourire aux lèvres. Un
voisin s’exclame du haut de sa terrasse : « Mais cela fait plus de vingt
ans que nous prévenons la police »
Je me dis qu’au pays du « commandeur des croyants », avec un musulman
éméché, en plein mois de Ramadan, qui agresse d’autres musulmans qui ne
le sont pas, la police devrait tout de même intervenir. Et puis, nous
ne sommes pas en Somalie ni au Mali, il y a un Etat ici.
Je reprends le téléphone et je rappelle la permanence de police. Je
le fais à plusieurs reprises. « Mais je suis un citoyen comme tout le
monde, vous devez venir quand même », leur dis-je. A chaque fois c’est
une réponse différente. « Les policiers vont venir », « Les policiers
sont partis », « Ils sont en route ».
La réponse la plus marrante est celle-ci : « Les policiers sont en
train de prendre leur s’hour. Ils doivent bien manger. Ils partiront
chez vous tout de suite après ». Il est 3h45.
Criminels du monde entier si vous ne voulez pas être chopé venez au
Maroc et commettez votre crime durant le f’tour ou le s’hour ! Personne
ne viendra vous déranger !
Avec ces centaines de estafettes de police qui sillonnent la ville,
avec une véritable armée de flics, en civil et en uniforme, ramenés d’un
peu partout du Maroc pour veiller à la sécurité du roi qui vient
d’arriver à Tétouan, il n’y a donc pas un seul policier pour venir
constater une agression caractérisée contre le domicile d’un citoyen ?
A 5h45, je rappelle pour la dernière fois la permanence de police.
L’ivrogne frappe toujours la porte de ma maison. L’esclandre dure depuis
1h00 du matin. « Il faudrait que vous guidiez la police vers votre
maison. Vous pouvez revenir à la permanence ? », me répond le policier.
Je me rends compte que les policiers se moquent de moi.
A 5h51 : Je rappelle l’avocat. Je lui raconte en détail tout ce qui s’est passé depuis qu’il m’a conseillé d’appeler la police.
L’avocat : Mais tu as bien donné ton adresse, non ?
Oui. 6 ou 7 fois, avec des précisions.
L’avocat : Alors là je n’ai pas de réponse. C’est tout de même trop
gros. Je pense que ton affaire va au-delà d’un fait divers. Fais gaffe à
toi ! Il raccroche.
A 6h00 du matin, l’ivrogne Hassan est toujours là. Il a dû vider au
moins trois bouteilles de vin et fumer une bonne douzaine de calumets.
Mais point de police.
Voilà les faits tels qu’ils se sont déroulés. Ni plus ni moins. Pas de spéculation et je ne fais même pas d’interprétation.
Je me dis que si j’avais été un ambassadeur d’Israël,
ou une personnalité marocaine la police serait venue sur le champ et
elle aurait pris en flagrant délit l’agresseur. Mais, la police avait
des raisons de ne pas intervenir que je n’arrive pas à cerner.
La semaine prochaine, je raconterai d’autres histoires bizarres qui
me sont arrivées à Tétouan depuis quelques mois. Vous jugerez vous-mêmes
de leur degré de bizarrerie.
Si vous voulez faire des interprétations, elles sont permises."
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