lundi 6 août 2012

Délit de sale barbe


Vous allez lire une lettre écrite par une française mariée à un maghrébin. La lettre s'adresse à un grand magasin en France. Le seul souci de son mari est apparemment d'avoir une barbe.

« Monsieur,
Cette après-midi, après quelques courses dans un grand magasin d’ameublement suédois de Thiais (Val-de-Marne), nous avons décidé d’aller acheter l’ordinateur dont nous parlions depuis quelques jours. Mon mari et moi effectuons souvent nos achats sur un coup de tête, ce qui explique notre déconvenue de ce jour.
En effet, nous nous sommes aperçus que nous n’avions sur nous que notre carnet de chèques, et pas la carte bancaire de notre compte commun avec lequel nous comptions faire cet achat.
Après avoir vérifié dans votre magasin que nous pouvions régler notre achat par chèque, nous nous sommes naturellement tournés vers un vendeur. Ce dernier nous a d’abord demandé si nous étions en possession d’un justificatif de domicile et d’une fiche de paie, parce que “ vous comprenez, on a besoin de savoir que vous pouvez rembourser, que vous avez un travail ”.
Nous avons mis quelques secondes à comprendre qu’il envisageait alors pour nous un paiement en plusieurs fois sans frais. Peut-être avait-il la précieuse capacité de juger de la situation financière des clients rien qu’en les regardant dans les yeux. Toujours est-il que nous comptions acheter ledit ordinateur comptant – par chèque donc.

Pour mon mari, deux pièces d’identité

Après avoir établi notre bon de commande, nous nous sommes dirigés vers la caisse où nous avons eu la joie de faire la connaissance de M., hôtesse de caisse de son état.
Au moment de régler les 1 800 euros et des brouettes, celle-ci nous informe, après avoir regardé mon mari, qu’il faudrait payer la moitié en chèque et l’autre moitié en carte. Et que d’ailleurs pour lui, il faudrait justifier de son identité à l’aide de deux pièces d’identité différentes.
Je lui fais alors part de mon étonnement, ayant pris soin de vérifier les conditions générales de vente.

Je lui demande alors ce qui justifie ces conditions particulières à notre cas et aucunement affichées en magasin. Elle nous explique que le responsable de la sécurité (un agent de la sécurité posté à la droite de la caisse qui semblait s’intéresser de près à notre discussion) pouvait décider du mode de paiement selon le client. Et que pour nous, ce serait moitié carte, moitié chèque donc.
Peut-être avait-il lui aussi la précieuse capacité de juger de la situation financière des clients rien qu’en les regardant dans les yeux. J’ai essayé de lui expliquer que j’aurais accepté sans hausser le ton les conditions, si celles-ci étaient applicables à l’ensemble des clients.

Nous sommes repartis sans l’ordinateur

Je lui rappelle par ailleurs que j’ai effectué sans aucun problème de nombreux achats de montants équivalents ou plus importants dans d’autres magasins de la même enseigne (un appareil photo par ci, un objectif par là, une console de jeux pour mon fils, une télé…).
Je suis allée chercher les conditions générales de vente pour les lui faire lire. Mais cette jeune femme a insisté, et m’a clairement fait comprendre que c’était à prendre ou à laisser.
Nous avons donc décidé de repartir sans l’ordinateur.
J’avais déjà constaté à plusieurs reprises que le traitement réservé dans vos magasins était différent selon qu’il s’agisse de moi ou de mon mari.
Nous sommes tous les deux photographes et avons donc les mêmes “ besoins ”. A de nombreuses reprises, il a voulu essayer un appareil photo dans plusieurs de vos magasins. Curieusement, lorsqu’il souhaitait l’essayer, l’appareil était dépourvu d’objectif ou de batterie, ou alors le vendeur n’avait pas la clef de la vitrine.
Alors que quelques minutes plus tard, les accessoires précédemment cités et nécessaires au bon fonctionnement de l’appareil, avaient miraculeusement réapparu, me permettant d’essayer à ma guise l’appareil en question.

La seule différence entre lui et moi….

Oui, je fais des séances de testing avec mon mari pour m’amuser, chacun s’occupe comme il peut.
Je ne vois pourtant pas de différence entre nous, nous sommes tous les deux photographes, jeunes, nous avons les moyens de nous offrir sans crédit des objets coûteux.
A bien y réfléchir, la seule différence entre mon mari et moi est que ses origines maghrébines se lisent à la fois sur son visage et sur sa carte d’identité.
Je regrette qu’en 2012, dans une grande enseigne comme la vôtre, des vendeurs, des caissières, des agents de sécurité, puissent encore penser qu’un photographe arabe (appelons un chat un chat) est forcément quelqu’un qui ne peut se payer un iMac qu’à crédit (qu’il ne pourra certainement pas rembourser), qui utilise des chèques sans provisions (probablement avec une fausse pièce d’identité) et qui risque de partir en courant avec un appareil photo à 1 500 euros si on commet la bêtise de lui mettre dans les mains.
Je regrette de devoir saisir encore la Halde, je regrette de devoir expliquer à mon entourage qu’il va falloir dès aujourd’hui boycotter toutes les boutiques de votre enseigne, je regrette que quelques arriérés aient gâché ma journée. »

Je n’ai jamais été traitée comme il l’est

Etant moi même ce qu’on peut appeler une « française de souche », je découvre depuis quelques mois des regards compatissants, des réflexions désagréables dans la rue, des insultes racistes… Je pensais que mes amis d’origine maghrébine ou africaine exagéraient lorsqu’ils me racontaient de telles histoires.
J’ai vécu 28 ans sans vivre avec un Français d’origine maghrébine, je n’ai JAMAIS été traitée comme il l’est au quotidien.
Mon mari me laisse exprimer mon mécontentement lorsque de tels événements se produisent, lui ne peut pas le faire aussi aisément.
Une femme enceinte corse qui s’énerve contre un vigile ou une caissière, c’est acceptable, un arabe barbu d’1m80 et 95 kilos finit malheureusement au poste.

Un barbu qui s’appelle Nouredine

Il y a déjà eu un précédent lors de l’achat de ma bague de fiançailles dans un grand magasin parisien, il y a quelques mois. Enseigne qui s’en est sortie par une lettre d’excuses (« fallait pas le prendre comme ça, monsieur ») et un bon d’achat.
De la même manière lorsque nous nous sommes présentés à la mairie du domicile de mes parents, il y a quelques mois (mairie de la ville où j’ai grandi, où nombre de mes amis se sont mariés sans aucun problème), une charmante employée a refusé de nous donner un dossier expliquant à mon mari qu’il y avait « des lois dans ce pays et qu’on faisait pas ce qu’on voulait ».
La vue de sa barbe l’avait vraisemblablement contrariée. Un photographe barbu qui s’appelle Nicolas est un hipster, un photographe barbu qui s’appelle Nouredine [ceci est un pseudo, ndlr] est forcément un salafiste… Qu’il soit français né en France de parents français (et oui, déjà la troisième génération) n’a rien changé au débat.
Nous nous sommes finalement mariés à la mairie du XIIIe arrondissement où nous habitions. Mais nous avons eu droit d’apporter des tas de documents inutiles et introuvables pour justifier de notre bonne foi (ayant été officier d’état civil en mairie pendant des années, je sais pertinemment qu’aucun de ces documents n’était nécessaire…).

Un prénom français pour éviter « tout ça »

J’attends une petite fille pour novembre, et si je voulais envisager un prénom « mixte », mon mari est de plus en plus déterminé à lui donner un prénom français pour lui éviter tout ça.
Bref, tout ceci est insidieux. Tout le monde vous dira que nous, Français d’origines maghrébines et femmes de Français issus de minorités visibles, sommes « susceptibles ».
Jusqu’à ce que votre fille, votre sœur, ou vous-même n’épousiez un ressortissant de cette communauté.»



Trouvé sur Rue89



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